
Si Michel Piccoli opéra dans sa vie un calcul, ce fut sans doute celui de ne jamais calculer. “J’ai été attentif à des œuvres”, dit-il au début de ce documentaire passionnant signé Yves Jeuland. “Des œuvres folles, intelligentes, effrayantes, des œuvres qui peuvent chahuter, déplaire, insupporter… J’aime sentir que le spectateur écarquille les yeux.” Et avec cet acteur majeur, capable de jouer un suicidaire faisant sous lui chez Marco Ferreri ou un cannibale dégustant un CRS à la broche chez Claude Faraldo, le spectateur a été servi. Entre archives et extraits de films, Jeuland montre très bien comment la même année (1970), Piccoli a pu camper les bourgeois adultères dans Les Choses de la vie — un triomphe — et commencer à décaper le vernis de cette même bourgeoisie étouffée par la société de consommation dans Dillinger est mort : un four. “Sautet était un fou total qui a toujours eu peur de le montrer, point, explique-t-il. Ferreri, le comble de la tendresse qui a toujours eu peur de vivre avec, point.” Entre rire de hyène et colère historique (Vincent, François, Paul et les autres, où Piccoli découpe un gigot en gueulant sur Montand), le film retrace la carrière subversive d’un aventurier engagé, toujours enclin à donner des interviews provocatrices. — Sophie Grassin