Interrogés, les cinéastes Wim Wenders, Volker Schlöndorff et Werner Herzog expliquent comment cette Berlinoise juive, devenue une figure majeure de la Cinémathèque française, a modifié leur regard sur le métier. Mais l’influence d’Eisner va bien au-delà du cinéma allemand. De Buñuel à Kurosawa, en passant par Eisenstein, Renoir et Hitchcock, les plus grands ont eu l’occasion de rencontrer cette femme au caractère bien trempé. Le simple déroulé de sa vie, entre le Berlin des Années folles et le Paris cinéphile, entre tournages de films mythiques et rencontres avec les créateurs, aurait suffi à faire un documentaire intéressant. Mais ce qui le rend original, c’est aussi la manière dont Timon Koulmasis fait se télescoper, en un formidable montage, des extraits de L’Ange bleu, de Josef von Sternberg, de Metropolis et de M le maudit, de Fritz Lang, avec des actualités berlinoises d’époque. Sur cette vie bousculée par l’histoire, Lotte Eisner, vieille dame au phrasé élégant, revient en détail lors d’entretiens filmés et enregistrés dans les années 1960 et 1970. On apprend comment la jeune journaliste se rendait sur les plateaux des studios de Babelsberg pour travailler sur des tournages de légende (… ) Exilée à Paris, elle multiplie les petits boulots avant de faire la connaissance, en 1935, d’Henri Langlois et de Georges Franju. Une rencontre décisive. Un an plus tard, elle se lance dans l’aventure de la Cinémathèque française avec les deux hommes. La guerre arrive. Eisner est enfermée huit jours au Vél’d’Hiv, puis internée au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Elle s’en échappe en 1941, change d’identité, vit dans le Lot. Henri Langlois continue de la faire travailler. En mars 1944, elle est arrêtée par la Gestapo. Une lettre de Langlois qu’elle porte sur elle précisant que « Melle Escoffier travaille pour la Cinémathèque française » lui sauve la vie. La suite est une succession d’aventures en compagnie de Langlois. Faire découvrir des films, parcourir le monde entier pour dénicher des trésors qui enrichiront le Musée de la Cinémathèque, écrire des livres de référence sur Murnau ou Fritz Lang, elle n’arrête pas. « Elle nous a permis de prendre conscience que le cinéma représentait une richesse qu’il convenait de préserver », souligne Wim Wenders. Alain Constant

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