Le fil conducteur de ce documentaire est la figure mystérieuse et paradoxale d’Alfred Greven (1897-1973). Cet Allemand, proche ami de Hermann Göring depuis la première guerre mondiale, est nommé à Paris par Joseph Goebbels, ministre de la propagande du IIIe Reich, directeur de Continental-Films, dont le but, rappelle Bertrand Tavernier, était de produire « des films anodins, sans ambition particulière – des films qui endorment le spectateur… » Mais Greven, qui accroche chaque matin son manteau et son chapeau sur un buste d’Adolf Hitler dans son bureau de l’avenue des Champs-Elysées, témoigne d’« une étrange liberté », ainsi que le formule Tavernier. Contredisant à plusieurs reprises les ordres de Goebbels – qui n’impose pourtant pas de propagande à la production française de la Continental –, il s’ingénie à produire des longs-métrages de qualité. Ce francophile, qui « connaît très bien le cinéma français et sait qui sont les meilleurs », rappelle Jean Ollé-Laprune, laisse la bride sur le cou de ses poulains scénaristes et réalisateurs. Il encourage des scènes que la censure du gouvernement de Vichy aurait refusées. La Continental adapte même Zola et Maupassant, auteurs pourtant mis à l’index par les nazis. Plus étonnant encore, Alfred Greven engage des juifs, et aurait lancé : « Pour le cinéma, les juifs sont les plus forts ! » Trente films seront produits entre 1941 et 1944. Pas tous des chefs-d’œuvre (les nanars de Fernandel…), mais quelques grands classiques sur lesquels les intervenants reviennent en détails savoureux et érudits. — Renaud Machart

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