
Par son succès phénoménal, le roman le plus connu de Nabokov a fait du surnom de son héroïne un nom commun et a popularisé le mot “nymphette”. Dans l’imaginaire collectif, ces deux termes désignent une jeune aguicheuse, sexuellement précoce, qui se plaît à susciter les désirs masculins. Pourquoi la tragédie de Dolores Haze, alias Lolita, orpheline de 12 ans violée par son beau-père, que nous ne percevons qu’à travers le fantasme criminel de ce dernier, reste-t-elle caricaturée depuis si longtemps ?
“Ainsi donc nous revînmes vers l’est, moi plus harassé que ragaillardi par l’assouvissement de ma passion, et elle resplendissante de santé, sa guirlande biiliaque encore aussi ténue que celle d’un gamin, bien qu’elle eût pris cinq centimètre et quatre kilos. Nous étions allés partout. En fait, nous n’avions rien vu. Et aujourd’hui il m’arrive de me dire que notre long voyage n’avait fait que souiller d’une sinueuse traînée de bave ce pays immense, admirable, confiant, plein de rêves, qui, rétrospectivement, se résumait pour nous désormais à une collection de cartes écornées, de guides touristiques disloqués, de vieux pneus, et à ses sanglots la nuit – chaque nuit, chaque nuit – dès l’instant où je feignais de dormir”. Humbert Humbert